Aujourd’hui marque douze mois ferme que Maman nous a quittés, douze mois de deuil. Lors de son grand départ, j’étais présente pour ses deux souffles finaux, mais je n’ai pas pu sentir son âme s’envoler comme je l’avais fait pour papa. L’infirmière de nuit m’a contactée alors que maman avait déjà commencé à rendre l’âme.

J’étais déçue de ne pas pouvoir avoir été là pour l’accompagner comme je le lui avais promis, lui tenir la main, tenir la porte vers l’au-delà, lui dire que tout irait bien, qu’elle serait accueillie par ses proches. Pourtant, la nuit suivante, elle m’a permis de vivre avec elle son entrée de l’autre côté, comme si je faisais une expérience de mort éminente, sa mort, qu’elle partageait avec moi à travers mon sommeil. Je l’ai vu marcher dans un jardin vert, d’un vert éblouissant de haute définition jamais vue auparavant où les fleurs hyper colorées de rouge, d’orange, de jaune, tout aussi hautement définies, me semblaient d’un autre monde, d’une résolution meilleure que celle de la télé et de la réalité. Elle avançait sur le sentier avec un grand sourire et des yeux si écarquillés, ceux qui expriment leur surprise de voir tant de verdure et de couleurs et heureuse d’être dans la nature. Elle avait rajeuni à ses 50 ans avec sa chevelure blonde fraise couronné d’un simple béret, sa veste de lainage blanche, un pantalon foncé.

Ces quelques instants d’incursion dans sa vie de trépassée ressemblent à ceux que racontent ceux qui ont vécu et traversé le lac de la mort et en sont revenus, plus vivants, mais aussi plus confus de cette nouvelle réalité qui dit que l’on vit aussi de l’autre coté de la vie. Pourquoi moi ai-je eu la capacité de voir cela? Un secret bien gardé: ce sont des réalités connues depuis mon enfance. D’ailleurs, ma mère était ma confidente à ce sujet. Elle me disait qu’elle aussi avait des expériences d’autres réalités et qu’il fallait faire attention, que si je ne savais pas comment contrôler cela, je devais attendre de mieux comprendre. C’est ce que j’ai fait, bien que les flashes de visions et les accès aux autres états de conscience altérée étaient automatiques sans que je n’ai rien à faire. Bien sûre, aujourd’hui, je comprends mieux et j’ai suivi des formations pour m’aider à mieux gérer ces états. Je ne les crains plus et je me sers de mes capacités pour aider les autres.

Chère maman dont le visage rieur, taquin flotte autour de nous, réminiscence du temps quand les accords et désaccords familiaux se réglaient autour d’elle grâce à ses paroles visant le réconfort et l’espoir tel un mot de «pardon», «essayez de vous entendre», de «sa aussi ça va passe». Elle avait la sagesse d’une maman de six enfants, d’une adulte d’expérience, d’une femme généreuse en amour et en ouverture d’esprit.

À bien des égards, elle était une pionnière de son époque où les femmes sont restreintes à la maison sous l’emprise du père puis du mari : en 1960, outre la couture, elle travaille à l’extérieur du foyer dans une cantine à patates frites pour gagner l’argent qui nourrira nos six bouches d’affamés; dans les années 80, elle divorce alors que cette mode n’est pas très populaire et non recommandée par l’Église, particulièrement dans une communauté rurale catholique de 500 âmes. Elle conduit une voiture de manière indépendante, elle devient chauffeuse d’autobus scolaire, offre un service de taxi pour bien des personnes sans voiture ou ne sachant pas conduite.

Son expérience de vie d’adulte et de sa vieillesse nous laisse des souvenirs surtout agréables ou tantôt ce sont ceux de cette mère rebelle et résiliente qui a surmonté tant de disputes, de violence, d’amour déçus, des transformations d’époques du cheval à la machine; tantôt ceux de celle tombant en amour, aimant se faire compter fleurette à celle donnant inconditionnellement son amour et son écoute aux personnes dans le besoin, ces petites gens qui trainent leur misère dans des sacs de plastique ou des valises dépareillées, qui viennent prendre un café pour jaser de leur problème, de la vie et décharger le trop plein de leur douleur. Ma mère les comprenait, les écoutait, les aimait dans leur malheur et leur redonnait espoir qu’il y aurait des jours meilleurs.

Souvent, je lui demandais de me parler de son temps, de son ancien temps sur la ferme avec ses frères et sœurs, de ses bêtises d’enfant et d’adolescente. Elle m’a raconté beaucoup d’histoires du temps quand elle jouait de l’accordéon, de celui quand elle travaillait sur la ferme familiale et aimait ce genre de travail, de sa déception de voir son mari vendre sa terre parce qu’il n’aimait pas ce genre de métier. Il y a aussi celles des fausses couches, de ses colères et désespoirs et des mains baladeuses de ses beaux-frères contre qui elle devait se défendre seule parce que son mari était trop souvent absent, parti faire la fête avec ses copains. Il buvait ses payes, disait-elle, et elle ne savait plus à quel saint se vouer pour trouver l’argent qui l’aiderait à nourrir ses enfants. Elle ne pouvait pas compter sur lui pour recevoir de l’aide, surtout lors des accouchements à la maison, comme cela se faisait dans le temps, à la lueurs des chandelles et de la vapeur d’eau bouillie.

Voilà 365 jours que tu nous as quittés; tes enfants se sont tus, plus d’échange, plus de fous rire, que du silence. Le ciment qui collait les briques de ta maison s’est défait, craquelé et d’où s’échappent les mauvais sentiments et d’autres plus agréables. Dommage. Apparemment c’est l’apanage de bien des familles qui perdent le dernier de leur parent. L’autre séparation, l’autre deuil, celui de la fratrie alors que chacun et chacune peut désormais s’afficher sous son vrai jour et dire tout haut sous l’effet de l’émotion des paroles blessantes sans faire de peine à maman.

Une maman, ça part toujours trop tôt. La mienne est partie là-haut après 10 ans de vie avec la maladie d’Alzheimer. Plusieurs fois, en discussion avec mon frère ainé et mes sœurs, nous nous sommes demandés comment ceux qui, souffrant de cette maladie, recouvraient leurs souvenirs une fois trépassés. Était-ce instantané? Devaient-ils attendre un certain temps? Le temps existait-il là-haut? Un soir, dans mes songes, j’ai retrouvé le visage de Tante Pauline, ma marraine décédée en 2018 je crois; ses yeux étaient bleus radiants, rieurs et brillaient de tous leurs feux, son lumineux visage et son sourire tout aussi radieux. Je lui ai touché le bout du nez en prononçant son prénom. Nous riions toutes les deux, heureuses de nous revoir l’une et l’autre. À côté d’elle, en version plus sombre, en tons de gris, se trouvait une personne dont les beaux cheveux longs en boucle encadraient un visage flou sans trait, silencieux. J’ai tout de suite pensé que c’était maman, mais qu’elle était en transition et donc ne pouvait pas nous parler ou nous contacter. En tout cas, c’était un songe agréable. Je me disais que ce devait être l’effet de l’Alzheimer sur l’après-vie. C’était sa manière de m’informer que tout allait bien et que sa transition était en cour. Pour ma part, c’était la première fois que je rêvais à une personne décédée sans visage. Comme Tante Pauline ne m’avait jamais visitée en songe depuis son départ, j’ai rapidement compris dans mon rêve que maman avait besoin de sa sœur pour m’informer qu’il s’agissait bien d’elle.
Chère maman, avec amour et respect, je te souhaite une belle transition dans l’au-delà et je sais que toutes tes difficultés terrestres ont été tes tremplins vers une conscience supérieure de l’autre côté du voile.


2 réponses à « Le deuil »

  1. Avatar de Madame lit

    Quel bel hommage à ta mère… Elle sera là pour t’accueillir dans son jardin au moment opportun. Bisous!

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    1. Avatar de ©Argolla LProulx
      ©Argolla LProulx

      merci :)

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