Lettre à mon père

Aujourd’hui, papa est mort. Mort et installé au crématorium, mais toujours pleuré par ses enfants.

Tu as été pour moi un père protecteur à ta manière, un père silencieux qui aimait se raconter si je lui posais les bonnes questions, un homme simple, bon enfant, vaillant, loin de la tyrannie de pères de ces pays étrangers qui vivent pour protéger, sauvegarder l’honneur de la famille et qui tuent sans hésitation leurs femmes, leurs filles.

Je ne t’aurai jamais touché plus que lorsque tu étais sur ton lit de mort. Pour une fois, je savais que ta main ne toucherait pas, par inadvertance, une partie intime de mon corps. Tu fais partie de cette génération de ‘mononcle’ aux mains baladeuses qui profite de toutes les échancrures pour y glisser un doigt, une main, du moins c’est ma perception. Celle de mon corps de femme aujourd’hui, mais celui d’enfant autrefois qui se lie à celui de ma mère, à sa défense, aux scènes de vies quotidiennes où tu apparais dans nos vies, à l’occasion de tes retours de séjours dans les camps. Des scènes de cris de haine, de violence à travers les disputes; une claque, un mot, un poing sur la table, un trou dans un mur, chaque geste aussi regrettable qu’il soit, toujours parti trop vite pour atteindre une conjointe, quelqu’un ou quelque chose de près pour signaler la colère et provoquer les révoltes et les souffrances profondes chez l’autre. Si l’honneur était présente, c’était celle qui te collait à la peau, toi, l’homme en besoin de vie charnelle.  Ces mémoires douloureuses d’une époque malheureuse où tu devais te sentir tout aussi désespéré dans ton être que tu noyais dans l’alcool, sont aujourd’hui diluées par le temps et la vieillesse. Cette vieillesse, apaisée par la sobriété et nourrie de ta présence plus régulière auprès de tes enfants, tes petits-enfants, tout en étant éloignée de celle avec qui tu les auras conçus, est maintenant couchée de tout son long sur un lit d’hôpital. Toute blanche, comme les draps, ta jaquette, tes cheveux, ta peau où le sang s’est arrêté de circuler.

Nous étions présents, presque tous là, cinq enfants sur six. Les enfants officiels du moins. Car il est possible que tu ais eu des enfants avec d’autres femmes du village ou des villages des alentours. Rien n’a été déclaré en ce sens jusqu’à maintenant. Toi non plus tu n’avais rien officialisé à ce sujet. J’ai appris que c’est une procédure légale mise en place lors des décès de personnes afin de voir si un autre testament existe, si d’autres familles cachées dans un autre ville ou village ont pu être créées à l’insu de la famille officielle. Personne ne veut parler ouvertement de ces enfants fabriqués dans les lits d’autres femmes, les amantes en panne d’amour, les cœurs esseulés et peut-être abandonnés par la trahison d’une épouse, d’un mari parti en voir une autre. Comment peut-on vivre avec ces secrets? Toi seul le sauras, car tu ne l’auras confié à personne. Et nous, nous attendons la fin de la recherche officielle.

Quand le médecin nous a informé qu’il serait préférable de t’enlever l’oxygène, personne autour de moi, moi incluse, ne semblait comprendre exactement ce que cela voulait dire. Dans ma tête, c’était impossible que mon père nous quitte, lui si grand, si fort et à la fois si silencieux. Les propos du médecin tournaient dans ma tête et engourdissaient mon corps, ces mots savants insensés, sans conclusion sur le mal qui t’habitait. Tu ne pouvais pas mourir puisque tu n’avais pas de maladie, pas de virus ni même un rhume. Ce sera la vieillesse qui aura eu raison de ton corps, de ton souffle, des battements de ton cœur. Nous t’avons accompagné vers la mort, accrochés à ta respiration, aux machines dont les chiffres ont commencé à baisser et à sonner irrégulièrement, puis comme toi, à s’éteindre dans l’éclat de nos larmes exprimant notre douleur.

Tu es le dernier de ta fratrie à quitter le monde des vivants. Ta sœur Alice, partie d’un mal similaire au tien, a quitté un peu plus tôt cette même année. Elle avait 95 ans. Vos départs soulignent la fin d’une génération de personnes ayant connu la vie sans moteur, sans auto, sans voiture électrique, sans télévision, sans Internet, sans robot, sans téléphone fixe à la maison, sans la pilule anticonceptionnelle, sans l’avortement légal, sans l’école obligatoire jusqu’à 16 ans mais les écoles de rang pour le primaire. Ces dernières années, lors de nos rencontres père-fille, tu soulignais l’envol vers l’Au-delà de tes amis du village, de tes beaux-frères, et tentais tant bien que mal de m’expliquer la solitude, le vide que ces adieux forcés créaient autour de toi. Tu sentais s’élever une clôture invisible qui t’isolait des autres vivants alors que tu aurais aimé partir avec tes amis sur le chemin de la mort. La vie n’avait plus de goût, mais tu devais attendre la venue naturelle de la grande faucheuse.

Tu auras mordu dans la vie, couru les bois, connu les différentes essences des arbres et appris les meilleures techniques pour les couper selon leur grosseur et leur hauteur. Tu auras couru le petit gibier et les gros. Les lièvres et les femmes. Elles, tu les aimais toutes, mais n’avais malheureusement de respect pour aucune. Du moins, c’est ce qui me semblait. Aucune sauf peut-être pour celle qui t’aura accueilli dans son foyer, son noyau familial, pour la dernière décennie de ta vie, la cadette de tes enfants.

 

Photographie à la une
Camp de bûcherons à Ferry Bank, Oromocto, N.-B.
Vers 1897, 19e siècle
21.1 x 27.2 cm
Don de George I. Higgins Estate
1964.147L
Cet artefact appartient au : © Musée du Nouveau-Brunswick

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Les aidants naturels

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Je suis née dans une famille dont la mère avait un don. Celui d’aidante naturelle. C’est un don familial, je crois. On dit de ma mère qu’elle était toujours prête à aider son prochain en autant que ce n’était pas un voisin revanchard. Mes grand-parents maternels, Antoine et Adrienne étaient aussi de cette trempe d’individus altruistes, généreux, vaillants, sages. Ils lui ont passé ce don de même qu’à certains des autres enfants.

Selon la définition de Santé-Médecine, l’aidant naturel apporte de l’assistance à un individu en perte d’autonomie ou qui a besoin de soins. Celui ou celle qui agit comme aidant naturel peut aussi être nommé aidant familial et peut-être de la famille ou non. Ces personnes sont d’une grande importance dans le suivi médical, et également au niveau psychologique pour la personne en perte d’autonomie qui réclame une grande attention.

Depuis l’été 2011, plusieurs personnes sont entrées dans la vie de ma mère comme aidants naturels.

Ma soeur B. a hébergé maman pour l’été 2011. Une période d’ajustement, de décès aussi de mon beau-frère quelques mois plus tard.

Puis trois des premières personnes qui sont venues à la rescousse pour agir comme compagnons « surveillants » et assurer une vigie sur ses allées et venues, sa sécurité, sa prise de médicaments et sa santé mentale sont désormais passées de l’autre côté du rideau de la vie.

Deux d’entre elles sont décédées du cancer des poumons, 2013 puis 2015; elles étaient fumeuses et dieu sait que ma mère a sûrement fumé autant de fumée secondaire pendant qu’elles ont pu boucané leur fumée primaire. Ces sympathiques femmes, Lizette et Céline, ont été généreuses de leur temps et de leur aide. Nous, les enfants, avions besoin d’elles pendant que nous vaquions à nos besoins de travailleurs en ville. Elles étaient toujours disponibles pour faire chanter maman, lui faire écouter de la musique, conter une blague ou lui faire un tour en voiture en allant visiter une cousine ou une sœur dans le village voisin. L’autre personne, Oncle V., est le frère de maman. Lui aussi est décédé : 2015. C’est chez lui que maman est allée à sa sortie de l’hôpital après l’évaluation médicale qui lui a donné le verdict de maladie dégénérative de l’Alzheimer. Oncle V. était un homme habile de ses mains et intelligent comme pas un, généreux et il avait toute sa tête pour raisonner, penser, créer. Touché depuis le début de l’âge adulte par l’Ataxie, il a vu tranquillement son corps, au fil des années, se transformer et lui désobéir jusqu’à n’en faire qu’à sa tête et à la non-coordination de ses membres. Il a fini ses jours en chaise roulante.

Que Dieu veille sur leurs âmes.

L’année 2016, c’est Juliette et Élisabeth qui ont pris la relève. Une année difficile pour ma pauvre maman qui a perdu du poids et dépéri. Elle ne mangeait pas a sa faim ni ne s’alimentait correctement. Elle devait compter sur les décisions des personnes qui assuraient la surveillance chez-elle pour s’alimenter. Mais ce temps est fini. Ma mère a survécu. Différents services d’aide au logis et des services du centre local de santé communautaire (CLSC) ont également été mis en place durant toutes ces années. Une autre de mes soeurs, l’ainée, a assuré la gestion de ce manège qui tournait presque rondement pendant quelques années. Elle aussi proche-aidante naturelle.

C’est maintenant mon frère ainé qui s’occupe d’elle. Il a tout laissé de la ville de Longueuil, amis, travail, amours, passe-temps, appartement, pour aller  s’installer au village natal avec elle. Il est un proche aidant. Lui aussi a reçu ce don d’aidant naturel. Il préfère dévouer sa vie à aider notre mère plutôt que de la reconduire dans un centre pour personne en perte d’autonomie et souffrant d’Alzheimer. « Tant qu’elle pourra vivre chez-elle, c’est mieux pour elle, c’est ce qu’elle veut. » Depuis juillet 2016, maman a gagné 14 kilos, elle va mieux et sort en voiture tous les jours. Elle est plus heureuse, c’est certain. Lui aussi aura besoin de vacances et de temps de répits. Je passerai quelques semaines encore cet été avec maman pour donner congé à mon frère. L’été dernier, quand je suis descendue durant trois semaines pour préparer le jardin avec elle et lui changer les idées en sortant en voiture, j’ai découvert qu’elle adorait manger des gâteaux que nous préparions. J’ai également découvert que chaque fois que je laissais ma voiture stationnée devant la porte, elle me disait  :

  • Est-ce-que c’est à toi la voiture dorée devant la maison?
  • Oui maman, c’est la mienne!
  • Est-ce qu’on va prendre une ride?

C’est devenue sa ritournelle préférée.

Deux semaines passées, je lui parlais au téléphone et lui demandais si elle se souvenait du nom de ses enfants. Je voulais lui faire pratiquer sa mémoire, celle qui restait.
– Bien sûr, qu’elle m’a dit en commençant à nommer les trois premiers correctement dans l’ordre de leur naissance. Puis elle s’est arrêtée.
– Et les autres? lui ai-je demandé.
– Trois, j’en ai juste trois, c’est assez, a t-elle ajouté sans plus.
– Et les trois derniers? On ne compte pas? lui avais-je alors demandé, étonnée.
C’est alors qu’elle s’est fâchée et a commencé a parlé sur un ton dur et à insister que trois c’était suffisant.
Je n’ai pas osé la contredire ni même continuer la conversation. Je sentais qu’elle usait ce ton dure signifiant son mécontent que je connais quand même bien, alors je lui ai demandé de remettre le récepteur du téléphone à mon frère ainé à qui j’ai raconté ce qui s’était passé. Probablement qu’elle aurait une boutade pour encore quelques minutes et je voulais qu’il comprenne la situation en la lui expliquant.

La communication entre membres de la famille est également un maillon important pour les suivis et les décisions. Cependant, si nous avons reçu le don d’aidant naturel, il n’en a pas été de même avec celui de la communication. Nous avons beaucoup de travail a faire sur cette compétence. Je me demande si c’est la même chose dans les familles en général.

Si jamais, cher lecteur, vous désirez témoigner sur ce sujet (la communication) ou sur celui d’aidant naturel, veuillez m’envoyer vos commentaires sur cette page, il me fera plaisir de vous lire et d’échanger avec vous.

Je remercie ceux et celles qui s’abonnent à mon blogue!