Inch’allah

Vignoble du Château d'Émeringes vue du clos arrière
Vignoble du Château d’Émeringes vue du clos arrière

Les trois premiers mots que j’ai appris en arabe sont :  »Inch’allah »,   »A salem aléikoum » et  »Alekoum salem ». Ils m’ont ouvert bien des portes et évité des ennuis, sans aucun doute.

En 1992, je quittais Montréal pour me rendre en Europe pour la première fois.  Au début de ma vingtaine, j’avais la tête pleine de rêves et d’ambitions; ma curiosité et mon désir de découvrir le monde étaient géants. Ils me dépassaient de plusieurs têtes et je m’imaginais plus grande que moi-même. Ce premier voyage devait me conduire vers deux actions principales : aller faire les vendanges et aller faire un stage comme marionnettiste à Grenoble au théâtre des trois roses, rue Hector-Berlioz sur les bords de l’Isère, théâtre de marionnettes dirigé alors par André Peter.

Durant ce stage, j’étais supposée aller faire une tournée de spectacles dans les centres culturels français du Maroc et de l’Espagne. Un voyage de rêve pour une jeune femme en quête d’aventures et d’identité. Ce périple aura été une expérience initiatique en quelque sorte à ce que je suis devenue par la suite. Plusieurs histoires abracadabrantes me sont arrivées que je prendrais la peine de raconter en temps et lieu. Poursuivons avec celle-ci.

Mon arrivée à Grenoble avait été devancée de quelques semaines due aux modifications de voyage de la compagnie Air transat avec qui j’avais fait l’entente de voyage et de pré-organisation de placement pour les vendanges. Cette période mérite une histoire en soi que je vous raconterai plus tard, car toutes sortes d’anecdotes me sont arrivées aussi à ce moment-là. Je préfère pour l’instant m’attarder à ma vie sur le vignoble des grands crus du Château d’Émeringes, lieu où je suis finalement arrivée une semaine après être atterrit à Charles de Gaule et avoir pris le train vers Grenoble. Émeringes se trouve dans le département du Rhône. Alors que j’étais débarqué au centre de ce petit coin de pays pour y passer les prochaines trois ou quatre semaines, j’y ai rencontré d’autres vendangeurs, comme moi, venus d’un peu partout, Bretagne, Paris, Allemagne, Madagascar, Italie, Pologne, Tchécoslovaquie, Québec. Dès la gare de Mâcon, Pierre David, le propriétaire du vignoble, est venu cueillir une dizaine de vendangeurs et nous a conduit à son domaine du Château d’Émeringes. Il nous installait dans les dortoirs situés au deuxième étage de la salle de réfectoire, cette dernière serait le lieu des repas bien arrosés du soir et du midi, et du petit-déjeuné. Au fil des jours suivants, d’autres mains d’œuvre vont arriver, certains vont quitter.

Notre tâche de vendangeur allait consister quotidiennement à cueillir les raisins à l’aide d’un petit couteau de forme circulaire appelé serpette et d’avancer dans notre rang de vigne afin de remplir notre panier le plus rapidement possible. Un porteur venait ensuite ramasser notre panier pour le vider dans son panier d’osier plus grand qui lui, une fois plein, allait être vidé à son tour dans la grande cuve de métal. Le plus difficile, lors des premiers jours, a été de vivre avec les douleurs dorsales entraînées par les positions accroupies à maintenir tout en avançant dans les rangs. Il y avait aussi des contre-maîtres qui nous encourageaient à aller plus vite et nous  lançaient des défis. Personnellement, je sais que j’étais parmi les plus rapides et cela m’occasionnait certaines faveurs en variant mon ennuyeux travail de récolter des grappes. En effet, de temps à autre, les contre-maitres m’envoyaient dans la grande cuve de métal pour nettoyer et enlever les mauvais raisins. Ce travail nécessitait une certaine rapidité d’exécution, car les paniers pleins se déversaient à raison d’une dizaine de paniers la demi-heure.

C’est d’ailleurs lors de l’un de ces occasions que j’ai décidé de faire comme j’avais vu à la télévision. J’avais enlevé mes bottes et mes chaussettes, j’avais relevé le bas de mes pantalons et je piétinais les fruits rouges dans une allégresse digne de la scène de la belle blonde du film de Federico Fellini qui, ivre, se baigne dans la fontaine de Trevi. Mon délire dura le temps que l’un des contre-maîtres arrive et m’interdis cette manoeuvre car elle nuisait plutôt à la production du vin. J’ai passé le restant de l’avant-midi les pieds collés dans mes chaussettes à nettoyer les mauvais raisins des bons.

Pendant 17 jours, ni la pluie ni le soleil ardent ne m’empêchaient de marcher vers les vignes et d’en revenir fourbue, sale, maudissant le jour où j’avais décidé de venir travailler à la production de ce noble nectar.

À la pause, de l’avant-midi et celle de l’après-midi, nous avions droits à une collation : du chocolat noir, du vin dilué avec de l’eau et un peu de pain que l’on pouvait tremper dans notre boisson. À certaines occasions, c’était des victuailles de la veille, mais comme j’étais végétarienne à cette époque, je ne me souviens pas de ces mets, sans doute délicieux, de viande et de pâtés.

C’est lors de ces pauses que j’ai commencé à mieux connaître mes camarades de travail et nouer quelques nouvelles amitiés. Comme chacun avait son histoire, on voulait bien se la faire raconter et également se prêter au jeu de dire la sienne. C’est ainsi que j’ai appris mes premiers mots d’arabe.

Lors d’un échange avec le jeune Malgache, je lui racontais que je devais aller au Maroc faire cette tournée comme marionnettiste et lui demandais s’il avait des conseils à me donner. Sa première question a été de me demander avec qui j’allais là-bas, et ma réponse a été aussi rapide :  »je ne le sais pas encore, mais probablement avec le directeur de cette troupe de théâtre. » Il m’a dit,  »Inch’allah, j’espère que tout ira bien pour vous. »

C’était la première fois que j’entendais ce mot. Mon incompréhension pouvait se lire sur mon visage et cela lui a permis d’expliquer le sens de ce mot arabe.
–  »Inch’allah » ça signifie que Dieu est grand ou bien que ce qui doit être fait le soit selon la grâce de Dieu, m’expliqua mon camarade Malgache.
– Est-ce que vous êtes arabe vous aussi? lui avais-je demandé sans retenue. Son teint basané et sa tignasse noir de jais m’avaient fait croire ainsi et poser la question.
– Non, je viens de Madagascar, une île dans l’océan Indien.
– Pourquoi venir ici? Ce n’est pas difficile pour vous de voyager jusqu’ici?
– Je viens travailler et j’ai la nationalité française aussi, à cause de mes parents, car Madagascar avant l’indépendance était un territoire outre mer de la France.
– Ah bon, répondis-je sans trop d’enthousiasme. Indépendance, océan indien, territoire outre-mer, tout cela me laissait perplexe devant le peu de connaissances culturelles que je possédais. Et ce Inchallah, quand est-ce que je dois l’utiliser dans une conversation? m’empressais-je de lui demander à la recherche d’information pratico-pratique.
– Vous l’utiliser à la fin ou au début des phrases que vous dites, ça ouvre ou ça conclut vos discussions.

Le camarade malgache continua avec deux expressions essentielles que je pouvais utiliser lors des salutations locales pour respecter la culture. Je pouvais dire :  »A salem aléikoum » (bonsoir le salut est sur vous) lorsque je rencontrerais quelqu’un et je devais répondre  »alekoum salem » (bonsoir et sur vous le salut) lorsqu’on m’adressait des salutations.

Après quelques répétitions sous la supervision de mon compagnon de la prononciation de ces nouveaux sons dans ma gorge et la transcription dans mon carnet de voyage des mots aussitôt arrivée au réfectoire, je me sentais déjà mieux outillée pour aller traverser le Maroc en portant sur mon dos le castelet et les marionnettes du Théâtre des trois roses. Trois mots déclencheurs de connaissance qui m’ont ouvert sur la culture des autres.

J’ai traversé le Maroc de Tanger vers Tetouan, Oujda, Ouerzazate, Maraketch, Agadir, Essaouira, Safi, El Jadida, Casablanca, Rabat, Meknès, Fès et de retour à Tanger pour reprendre le traversier vers Alicante, Espagne. Le tout en camping 90 % du temps pendant trois semaines. Toute une aventure. Très souvent, je sortais de la tente le matin au son de cloches de chèvres en pâture et sous le regard, qui me semblait éberlué, d’un berger en djellaba brune et en sandales du pays.

En préparation du voyage vers le Maroc, moi et ma co-voyageuse somme arrêtées à Perpignan (France) question de faire des courses pour notre alimentation, nos effets sanitaires et autres détails de voyage. Lors de cet arrêt, j’étais en charge de faire les courses et j’étais à la recherche d’une grande surface pour y faire l’épicerie. J’ai rencontré sur mon chemin un vendeur de couteau aux cheveux blonds bouclés et aux yeux verts. Durant notre échange où il voulait me vendre un de ses fameux couteaux, je l’ai informé tout en refusant sa vente que je cherchais une épicerie et lui fit part de mon voyage au Maroc. Son sourire s’éclaira et il me glissa gentiment qu’il était lui-même d’origine marocaine et que sa famille y habitait encore. Je le saluai alors dans sa langue :  » Salem Aleikoum ». Il me répondit : Aleikoum Salem ». Sur ce, il me conduisit à l’épicerie, car c’était sur son chemin disait-il et cela lui faisait plaisir puisque je visitais son pays. Incha’allah, ce jeune homme a simplifié ma vie ce jour-là, mais aussi un peu plus tard durant mon séjour dans ce merveilleux pays. Cette rencontre vaut un billet en soit, alors je m’arrête pour l’instant ici.

Vous chers lecteurs, avez-vous déjà visité le Maroc? Ou d’autres pays du Maghreb?
J’attends vos commentaires qu’il me fait toujours plaisir de lire.

 

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Bazooka

Partie I

Ce soir, en promenant mes chiens le long de l’avenue Bathgate, juste devant le parc Summerhill, j’ai eu un souvenir olfactif ; une odeur d’enfance de sapins baumiers, de bois mouillé, de terre dans les souliers et de bubble gum Bazooka saveur cerise, saveur raisin – des parfums imprégnés dans mon ADN; ça m’a rappelé l’été de mes 10 ans.

De fil en aiguille, d’autres images sont apparues, nettes, fraiches, comme l’odeur du printemps des champs ensemencés et fertilisés au purin de porc, de l’été qui sent bon l’herbe fraichement coupée, le repos et la rivière de mon enfance que l’on appelait la rivière du Pont rouge. Pour arriver à cette rivière, il me fallait descendre la grande côte qui pointait vers le rang Sainte-Anne, berceau de mes premiers cris à la vie. Dès les vacances scolaires arrivées, je descendais cette côte pieds nus, seule ou accompagnée de quelque autre gamin et gamine du village. Je voulais nager comme les grands, je voulais être grande et voyager, me libérer de mon insouciance.Quelques semaines plus tard, les crevasses ne tardaient pas à blesser mes talons, brûlant ma peau douce de petite fille dont les pieds sont desséchés par la chaleur de l’asphalte. Ma mère me rappelait la nécessité de porter des sandales, mais je faisais la sourde oreille et continuait mes promenades et supportait mes petites souffrances.

D’autres souvenirs de parties de cache-cache, de jeu de chat et de souris, de chat-perché ou de de tide, variante traduite littéralement par chat congelé. D’une partie à l’autre, les règles se réinventaient au gré de notre imaginaire. Tantôt, il fallait se glisser par terre et ramper entre les jambes des joueurs figés pour les libérer de leur état de momification ou de statue, car ils avaient été touchés par le prédateur, personne dont la tâche consistait à figer tout le monde pour gagner la partie. Ou encore les personnes qui avaient été touchées devenaient à leur tour des prédateurs. C’était alors plus terrifiant, un peu comme si des Zombies voulaient nous attraper pour nous transformer comme eux! Encore, à plusieurs joueurs, on pouvait encercler le prédateur et l’exciter, le taquiner pour qu’il nous attrape, pendant que quelqu’un d’autre allait délivrer un joueur figer. Un contre tous devenait tous contre un. Ainsi de suite, jusqu’à ce que le prédateur se fâche parce qu’il ne gagnait jamais sauf s’il était plus vieux et plus rapide et qu’il jouait avec de plus jeunes enfants du village. Ce qui arrivait à certaines occasions. Dans la cour d’école primaire, derrière le bâtiment paroissial de l’Organisation des terrains de jeux (O.T.J.) du village des jeux regroupant tous les jeunes, enfants et jeunesses, pour festoyer autour d’activités ludiques pour tous.

J’aimais jouer aux indiens et au cow-boy, j’aimais prendre des gageures.

  • Combien tu gages que je peux me mettre toutes les gommes d’un paquet de bubble gum Bazooka au raisin dans ma bouche et faire une balloune?

Et hop, je déballe – une, deux, trois, quatre, cinq morceaux de gomme d’environ un pouce par un demi-pouce dans ma petite bouche de gamine. Je mâche, je mâche, je salive, j’avale la salive, je mâche et je mâche. Je rigole mi-figue mi-raisin, je vais gagner et recevoir les 50 sous gagés – je suis la meilleure et hop une balloune! Enorme, odorante, collante! Dany la crève avec son index et me remet les deux vingt-cinq cennes et nous recommençons notre jeu favori – la cachette dans la cours d’école de mon village. Dany est venu visiter ses grands-parents pour les vacances de la Saint-Jean en juin juste après la fin de l’année scolaire. Un jeune blond de 11 ans aux yeux vert-bouteille-de-seven-up qui m’a donné mon premier baiser alors qu’on jouait à la cachette barbecue. Après la bulle de gomme au raisin, on est partis se cacher et s’il me trouve il m’embrasse, et si je le trouve je me cache à nouveau! Quelle idée! J’avais la trouille de me laisser trouver, aussi je me dépêchais à le trouver en premier, jusqu’à ce qu’il me surprenne – mon odeur de gomme balloune au raisin m’avait devancée et il m’a trouvé avant que j’ai pu disparaître, il s’est faufiler avec moi dans ma cachette et m’a donné mon premier baiser à la saveur de gomme balloune au raisin 🙂

(Partie II à suivre)

L’esprit animiste

Il y a deux mois, pour m’encourager et m’aider à terminer ma thèse de doctorat en éducation, une amie m’a offert une paire de boucles d’oreilles en guise de gri-gri. Ensemble, nous avons fait une incantation (paroles intenses et prières symboliques de courte durée) avec ledit présent et diriger toute notre énergie positive vers cette délicate parure africaine afin de s’assurer de la magie de l’objet et des effets bénéfiques qu’il me procurerait.  »Qu’est-ce qu’un gri-gri? » pouvez-vous vous demander! Et bien, il s’agit d’une amulette, aussi appelée talisman par les adeptes de la pratique de l’astrologie, contenant quelques  »ingrédients » spéciaux et qui sert à protéger des mauvais esprits la personne à qui l’objet est dédié. La personne porte le talisman sur elle lorsqu’elle a besoin de sa protection.
Maintenant, chaque fois que j’agis en lien avec la thèse et mes études doctorales, je porte les boucles d’oreilles et prie qu’elles m’apporte la chance, la force, la persévérance et le savoir dont j’ai besoin pour atteindre mon objectif. J’y crois surtout, en m’y accrochant telle une personne qui y entrevoit sa dernière occasion de réaliser son désir.

Je ne suis pourtant pas, habituellement, une personne portée vers ce genre de croyance. Au contraire, je tends plutôt à me tenir loin de tout organisme ou individu qui veut me convaincre d’entrer dans son  »club » ou me mener vers une ligne de pensée toute forgée, pré-mâchée. Mais cette fois-ci, il ne s’agit que de l’objet et moi. Et de mon doctorat à compléter. Mon esprit animiste est utilisé ici sous sa forme la plus simple et uniforme : une femme, ses grigris à l’oreille et dans l’autre monde, celui en devenir, sa thèse de doctorat à rédiger.